I

l était une fois…

Un prince et une princesse qui aimaient voyager dans le grand Nord, chaque automne et chaque hiver… là où le temps et l’espace se confondent en un rêve sans fin. Ils n’avaient de cesse de parcourir ses grandes villes remplies de trésors, ses grands et vastes paysages, ses ciels purs et clairs. Un jour, pris par une envie irrépressible de transmettre cette beauté, ils souhaitèrent créer des tableaux emplis de cette magie nordique mais, pour se faire, se trouvèrent bien en peine de dénicher le matériau idéal et digne des merveilles du Septentrion qu’ils avaient contemplées, car il leur paraissait certain que seul un matériau rare et précieux pourrait rendre cette beauté. Aussi demandèrent-ils conseil à leur bonne fée, laquelle apparut dans une nuée d’étincelles bleutées. « Mes chers enfants, dit-elle d’un ton bienveillant, votre désir est noble, et je me dois d’y répondre. Voici donc ce que vous cherchez ! » Et d’un geste aussi léger que la chute d’une étoile filante, elle fit apparaître un matériau particulier, quelque peu translucide : « Il a le pouvoir, leur dit-elle, de se transformer en flocons de neige lorsque le vent froid souffle dessus. Ce serait, selon la légende, le rire gelé des esprits de l’hiver. Un rire si léger et cristallin qu’il s’est figé dans l’air glacé pour devenir matière. On l’appelle… le plastique des glaces. » À la vue de ce matériau diaphane et aérien, le prince et la princesse, baignés d’un ravissement exquis, se laissèrent charmer par sa féérie hivernale et se mirent sans tarder à l’ouvrage. Ils peignèrent, collèrent, tintèrent, sculptèrent la matière jusqu’à ce qu’en émerge des arbres rouges, des forêts noires, des forêts d’argent, des ciels d’étoiles, des aurores boréales, des formes chimériques et des spirales, des châteaux de givre, des animaux doux comme la brume. Ils peuplèrent ces mondes de personnages ensorcelés aux regards d’opale et parfois, dans un jeu charmant, ils s’amusaient à les assembler comme des mosaïques enchantées, et chaque pièce semblait contenir un fragment magique, une arcane de féérie, un morceau d’amulette. Puis, ils y ajoutèrent encore quelques prénoms du passé, comme on dépose des offrandes aux dieux oubliés et puis des paysages venus du futur, symbole de promesse d’un renouveau… éternel ! !

Le prince et la princesse voyagent toujours, une fois leurs tableaux terminés, comme deux âmes unies par un même coeur et battant d’une douce ardeur créatrice. Sur un traîneau invisible tiré par six rennes aux sabots d’argent, ils glissent à travers les cieux silencieux.

Au printemps, lorsque la neige se retire et que la terre se réchauffe sous les premiers rayons du soleil, le matériau se transforme, se dissout en une substance fluide et lumineuse, irisée comme des écailles de poissons. Le support devient alors vivant, humide, enchanté, presque conscient… apparaissent les Syrènes.

Ce ne sont pas des créatures à proprement parler, mais des fragments liquides et chantants, portés par les brises marines ou les vagues des lacs. Et lorsque le vent d’été souffle, elles se changent en perles d’écume ou en fils d’eau flottants, capables d’envoûter les objets qu’elles touchent, les rendant plus légers ou plus lumineux.

La légende raconte encore que les Syrènes sont nées des larmes que les véritables sirènes ont versées, autrefois, en voyant la mer se retirer à la fin de l’hiver. Ces larmes, tombées sur les neiges fondantes, auraient donné naissance à cette matière étrange et printanière, entre l’eau, le rêve et la lumière.

Dessin

Le langage des rêves

Entre théâtre… et songe,
entre histoire… et murmure,
là où se joue la mise en scène de l’imaginaire,
les images intérieures s’animent —
symboles, visions, éclats —
et invitent à plonger dans le rêve éveillé.

Pour Freud, ces images sont messagères du désir, figures dormantes de l’inconscient,
semblables à des voix voilées.
Le rêve éveillé reprend la langue du songe nocturne
et en éclaire cette étrange trame invisible.
Pour Jung, elles portent les archétypes,
échos d’une mémoire partagée.
Et par l’imagination active, elles deviennent ponts,
passages entre le conscient et l’inconscient
où se révèlent la réflexion,
l’intuition, tout cela quelques minutes avant l’aube.

page spéciale Lewis Carroll

Ce jour-là, Alice s’ennuyait dans une pièce tapissée de motifs mouvants, de spirales bleues, d’arabesques violettes, d’étoiles blanches… par la fenêtre, elle pouvait voir le ciel couché sur le sol (elle en était certaine) et une Route flottante, sinueuse, aux pavés bordés de grandes fleurs qui semblaient cligner de leurs yeux-pétales. Alice, toujours prête à suivre les chemins les moins raisonnables, passa par la fenêtre. « Ah, enfin ! » se fit entendre à son oreille aussi grande que son orteil.

C’était la plus imposante des fleurs : une grande fleur violette, au visage délicat, un peu hautain, qui parlait avec un accent snob.

— « Tu es en retard, tu sais. La Route ne patiente pas. »
— « En retard pour quoi ? Demanda Alice.
— « Pour la fin du début, et le début de la fin, voyons. Tu as été appelée. Par le Tapis. »

Alice regarda derrière elle : la maison avait disparu. Le tapis s’était envolé, déroulant un long ruban coloré qui s’enroulait autour de la Route comme un serpent de soie.

Plus loin, une fleur bleue aux pétales en éventail lui chanta une berceuse à l’envers. Une rose rouge lui offrit un miroir minuscule qui ne reflétait que les choses qui n’existaient pas encore.

— « C’est un monde fait pour ceux qui voient autrement, murmura une fleur rose à la tige arquée.
— « Je vois très bien, merci, répondit Alice.
— « Justement, soupira la fleur.

Plus elle avançait, plus la Route se transformait en rêve. Le violet devenait souvenir, le bleu devenait question, le rouge devenait musique, et le rose… devenait silence.

À la toute fin de la Route, là où la pensée vacille et où la logique fond comme du sucre, Alice trouva un fauteuil au milieu du vide. Sur l’accoudoir, un livre neuf l’attendait : Les Carnets Inédits de Lewis Carroll, signé d’une écriture familière… la sienne.

Et elle comprit qu’elle ne rêvait pas — elle lisait.

…pour plus d’informations…